Le Président veut réformer, sans concertation, la sûreté nucléaire et accélérer le grand chantier des EPR2, exposant toujours plus la société à des risques.
Tribune publiée initialement sur liberation.fr, le 10 février 2023 à 20h07
par Yves Marignac, expert du nucléaire au sein de l’association négaWatt
La réforme du système de sûreté nucléaire, aussi inattendue que controversée, et le projet d’affecter une partie de l’épargne du livret A au financement de nouveaux réacteurs nucléaires, ne sont que les deux derniers avatars d’une marche forcée vers la relance du nucléaire.
Tout commence il y a tout juste un an. Le 10 février 2022, le président de la République tourne définitivement le dos à ses engagements sur la réduction de la part du nucléaire. Il annonce au contraire, dans un remake du lancement en 1973 du premier grand programme nucléaire français, un projet de prolongation du fonctionnement des réacteurs jusqu’à soixante ans au moins, et de construction de 6 à 14 nouveaux réacteurs EPR.
Ce choix est présenté comme le seul possible pour tenir nos objectifs climatiques à 2050, au prix d’un véritable déni : le Président conteste la possibilité même d’une décarbonation par un mix 100% renouvelables, alors que des rapports de RTE et de l’Ademe montrent précisément le contraire. N’en déplaise à ceux qui veulent le croire, la motivation première du gouvernement n’est ni climatique ni même énergétique. Il s’agit plutôt de repousser le moment de la fermeture nécessaire des réacteurs – synonyme de perte d’emplois, de difficultés pour le système électrique et d’explosion des finances d’EDF –, et de maintenir à travers les capacités civiles la puissance nucléaire militaire.
Mais décréter un tel programme ne suffit pas pour le concrétiser. D’abord, la filière elle-même connaît de telles difficultés que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) juge qu’elle n’est pas en état d’atteindre de façon sûre les objectifs fixés sans un véritable plan Marshall. Ensuite, les nouveaux projets soulèvent, qu’il s’agisse de prolongation ou de nouveaux réacteurs, des défis considérables. Enfin, le dynamisme et la compétitivité des renouvelables comme l’irruption de la sobriété rendent chaque jour plus délicate la perspective de financement et de rentabilité de ces projets nucléaires.
Voler l’avenir en créant du fait accompli
Dès lors, tout est bon pour tenter d’accélérer les choses et voler l’avenir en créant du fait accompli. Ainsi, le gouvernement a déposé un projet de loi d’accélération du nucléaire dont l’exposé des motifs assume de « sécuriser juridiquement » les nouvelles constructions et les prolongations. Renforcé en première lecture par le Sénat par un objectif de maintien du nucléaire au-dessus de 50% jusqu’à 2050, ce texte trahit le principe constitutionnel de participation du public à la décision, alors même que se déroule le débat public sur le programme de réacteurs EPR2. Celui-ci devait en principe se poursuivre jusqu’au 27 février mais a été rendu impossible par différents blocages : en réaction, la commission qui en a la charge vient de décider de consacrer ce temps à la question du rapport entre nucléaire et démocratie.
Il y a pourtant matière à débattre au vu de ce à quoi engage ce programme à l’horizon de presque deux siècles : projeter la fin présumée de la construction de ces EPR, de leur exploitation et de la mise en stockage de leurs déchets les plus dangereux revient à faire des paris sur une période aussi longue qu’aujourd’hui vu respectivement de 1990, 1930 et 1840 !
La question des risques, justement, est au cœur de la réforme décidée le 3 février lors d’un Conseil de politique nucléaire, sans aucune concertation préalable. Elle consiste à démanteler l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), c’est-à-dire l’organisme public de recherche et d’expertise en matière de sûreté et de sécurité nucléaire, pour intégrer son expertise de sûreté à l’ASN.
Sous couvert de modernisation et d’efficacité, les objectifs sont tout autres. Le principe de système dual, autrement dit de séparation des fonctions d’expertise et de décision, est au cœur du régime de sûreté français. Il a été inscrit dans la loi dite de « transparence nucléaire » en 2006, vingt ans après un long chemin initié par la catastrophe de Tchernobyl. Vingt ans plus tard, le gouvernement y met brutalement fin.
La crise actuelle du système de sûreté réside dans la perte de confiance que l’on peut avoir dans la conduite des exploitants et dans la difficulté visible de l’ASN à maîtriser cette conduite. La capacité de l’IRSN à mener de façon autonome l’expertise de sûreté constitue dans ce contexte un atout très précieux.
Or, c’est précisément parce que la rigueur et l’exigence qu’exprime publiquement l’IRSN peuvent constituer un obstacle au projet d’accélération nucléaire que cette réforme semble envisagée. Par exemple, le président de l’ASN a récemment ouvert la porte à une approche probabiliste de sûreté, sans doute plus à même de justifier la prolongation à soixante ans et au-delà, là où l’IRSN a toujours défendu l’approche déterministe, plus exigeante.
En faisant sauter un par un les garde-fous institutionnels et démocratiques, le gouvernement ne sécurise pas son projet néo-gaullien de relance nucléaire. Il expose toujours plus la société, sans la laisser en débattre, aux risques que comporte ce projet d’un autre temps.